Citations - Robert Louis Stevenson

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Robert Louis Stevenson (1850 – 1894), écrivain britannique.

Sommaire

Œuvres

Virginibus Puerisque

  • Il semblerait que le mariage soit la voie royale dans la vie, et réalise, à l’instant, ce que nous avons tous rêvés les dimanches d’été au son des cloches, ou la nuit lorsque nous ne pouvons pas dormir à cause du désir de vivre. Ils pensent qu’il les assagira et les transformera. Comme ceux qui rejoignent une association, ils imaginent qu’il suffit un acte pour se soustraire à jamais des anneaux et des vociférations. Mais c’est une ruse du démon. Jusqu’au bout, les vents printaniers sèmeront l’inquiétude, les visages passagers laisseront un regret après eux, et le monde entier ne cessera de les appeler et de les appeler par l’oreille. Car le mariage est semblable à la vie en ceci - que c'est un champ de bataille, et non un lit de roses.
  • L'espoir c’est le garçon, individu aveugle, irréfléchi, plaisant, bon à poursuivre les hirondelles avec du sel; la Foi c’est l’homme grave, expérimenté, cependant souriant. L'espoir vit de l'ignorance; la Foi aux yeux ouverts est bâtie sur la connaissance de notre vie, la tyrannie des circonstances et la fragilité des résolutions humaines. L'espoir cherche le succès inconditionnel; mais la Foi compte certainement avec l'échec, et considère une défaite honorable comme une forme de victoire. L'espoir est un vieux païen aimable; mais la Foi a grandi à l’époque chrétienne, et a appris tôt l'humilité. Dans une humeur, un homme s’indigne de ne pouvoir s’élancer d’un coup dans les hauteurs de l'élégance et de la vertu; dans l’autre, par le sentiment de ses infirmités, il est rempli de confiance parce qu'une année s’est écoulée, et qu’il a conservé quelques lambeaux d'honneur. Dans la première, il attend un ange pour femme; dans la seconde, il la sait comme lui - errante, irréfléchie, et infidèle; mais comme lui aussi, remplie du rayonnement combatif des choses meilleures, et ornée de qualités inefficaces. Vous pouvez aller sans danger à l'école avec l'espoir; mais avant de vous marier, devez avoir apprit la leçon mêlée du monde : que les poupées sont bourrées de sciure, et cependant sont d’excellents jouets; que l’espoir et l’amour s’adressent à une perfection jamais réalisées, et deviennent cependant, conservés fermement, le sel et soutien de la vie; que vous-même êtes condensé d’infirmités, parfait, diriez-vous, dans l'imperfection, et cependant vous avez un quelque chose en vous d’adorable et qui mérite d’être conservé; et que, tandis que la masse de l'humanité ploie sous cette vile condamnation, vous n’en trouverez qu’à peine un qui, par une lecture généreuse, deviendra pour vous une leçon, un modèle, et un noble conjoint à travers la vie.
  • Tomber amoureux est l’aventure illogique, la chose que nous sommes tentés de croire surnaturelle, dans notre monde banal et raisonnable. L’effet est hors de toute proportion avec la cause. Deux personnes, ni l’une ni l’autre, il se peut, très aimable ou très belle, se rencontrent, se parlent un peu, et se regardent un peu dans les yeux. C’est arrivé une dizaine de fois dans l’expérience de chacune sans grand résultat. Mais à cette occasion tout est différent. Elles tombent aussitôt dans cet état où une autre personne devient pour nous l’essentiel et le point central de la création divine, et démolie nos théories laborieuses d’un sourire; où nos idées sont tellement liées à l’idée dominante que même les soins futiles de notre propre personne deviennent autant d’actes de dévotion, et que l’amour de la vie lui-même est translaté en un désir de rester dans le même monde qu’un congénère si précieux et désirable.
  • Un silence peut être parfois le plus cruel des mensonges.
  • Les mensonges les plus cruels sont souvent dis en silence. Un homme peut être resté dans une pièce pendant des heures sans desserrer les dents, et cependant en ressortir un ami déloyal ou un vil calomniateur. Et combien d’amours ont péri parce que, par fierté, ou dépit, ou défiance de soi, ou cette honte peu virile qui empêche un homme d'oser trahir de l’émotion, un amoureux, au point critique de la relation, n’a fait que pencher la tête et tenir sa langue
  • L’essentiel de notre sagesse de poche est conçue à l'usage des gens médiocres, pour les décourager des tentatives ambitieuses, et les conforter généralement dans leur médiocrité. Et puisque les gens médiocres constituent le gros de l'humanité, il en est sans doute très bien ainsi.
  • Il est aussi naturel et normal pour un jeune homme d’être imprudent et exagéré, de vivre par piquées et par cercles, et de battre dans sa cage comme n’importe quel autre être sauvage nouvellement capturé, que ça l’est pour un vieillard de grisonner, ou pour les mères d’aimer leur progéniture, ou pour les héros de mourir pour quelque chose de plus digne que leurs vies.
  • Toute erreur, pas simplement verbale, est un moyen puissant d’établir que la vérité actuelle est incomplète. Les folies de la jeunesse ont une base dans la raison saine, tout autant que les questions embarrassantes posées par les petits et les nourrissons. Leurs actes les plus antisociaux indiquent les défauts de notre société. Quand le torrent projette un homme contre un rocher, vous devez vous attendre à ce qu'il crie, et vous n’avez pas besoin d’être surpris si le cri est quelquefois une théorie.
  • ...Mais il vaut mieux être sot que mort. Il vaut mieux émettre un cri en forme de théorie qu'être entièrement insensible aux discordances et aux incongruités de la vie et prendre toutes les choses comme elles viennent dans une stupidité désespérée. Certaines personnes avalent l'univers comme une pilule; elles voyagent à travers le monde, comme des images souriantes poussées par derrière. Pour l’amour de Dieu donnez-moi le jeune homme qui a assez de cervelle pour se rendre ridicule !
  • Il y a certainement quelque savoir aride et froid à trouver sur les sommets de la science formelle et laborieuse; mais c’est tout autour de vous, et pour la peine de regarder, que vous acquerrez les faits chauds et palpitants de la vie.
  • Il n’y a aucun devoir que nous sous-estimons autant que le devoir d’être heureux.
  • Il vaut mieux trouver un homme ou une femme heureux qu’un billet de cinq livres. Il ou elle est un foyer rayonnant de bonté; et leur entrée dans une pièce est comme si on avait allumé une bougie de plus. Nous n’avons pas besoin de nous soucier s’ils sauraient prouver la quarante-septième proposition; ils font mieux que cela, ils démontrent pratiquement le grand théorème de la Vie Vivable.
  • Toute la littérature, de Job et Omar Khayam à Thomas Carlyle ou Walt Whitman, n'est qu'une tentative pour embrasser la condition humaine avec une largeur de vue qui nous rende capables de nous élever de la considération du vécu à la Définition de la Vie. Et nos sages nous donnent à peu près la meilleure satisfaction en leur pouvoir quand ils disent qu’elle est une vapeur, ou une apparence, ou constituée de l’étoffe des rêves. La philosophie, dans son sens le plus rigide, s’est mise au même travail depuis des siècles; et après qu’une myriade de têtes chauves se soient agitées sur le problème, et des piles de mots aient été entassées les unes sur les autres dans des volumes secs et nuageux interminablement, la philosophie a l'honneur d’étaler devant nous, avec un orgueil modeste, sa contribution sur le sujet : que la vie est une Possibilité Permanente de Sensation. Vraiment un beau résultat ! Un homme peut très bien aimer le boeuf, ou la chasse, ou une femme; mais sûrement pas, sûrement pas une Possibilité Permanente de Sensation! Il peut avoir peur d'un précipice, ou d’un dentiste, ou d’un large ennemi avec une massue, ou même d'un croque-mort; mais certainement pas de la mort abstraite. Nous pouvons titiller le mot vie dans sa douzaine de sens jusqu’à nous lasser de la titillation; nous pouvons argumenter dans les expressions de toute la philosophie de la terre, mais un fait reste vrai toujours - que nous n'aimons pas la vie, dans le sens où nous sommes fortement préoccupés par sa conservation; que nous n’aimons pas, à proprement parler, la vie, mais vivre...S’intéresser profondément aux accidents de l’existence, aimer profondément la texture mêlée de l'expérience humaine, conduit plutôt un homme à mépriser les précautions, et risquer son cou contre un fétu. Car l'amour de vivre sûrement est plus fort chez un alpiniste encordé au-dessus d’un péril, ou un chasseur franchissant allègrement une barrière difficile, que chez une créature qui vit sur un régime et marche une distance mesurée dans l'intérêt de sa constitution.
  • Tous ceux qui ont voulu faire du bon travail de tout leur coeur, ont fait du bon travail, quoiqu’ils puissent mourir avant d’avoir le temps de le signer. Chaque coeur qui a battu fort et chaleureusement a laissé une impulsion d'espoir derrière lui dans le monde, et bonifié la tradition du genre humain. Et même si la mort prend les gens, comme un piège ouvert, et en pleine carrière, échafaudant de vastes projets, et planifiant de monstrueuses fondations, rayonnants d'espoir, et la bouche pleine de fanfaronnades, on devrait aussitôt leur faire un croc en jambe et les réduire au silence : n’est-il pas quelque chose de brave et de fougueux dans une telle interruption ? et la vie ne se referme-t-elle pas avec plus de grâce, en écumant dans tout le corps par-dessus un précipice, qu’en traînant misérablement jusqu’à son terme dans des deltas sableux ? Lorsque les grecs firent leur beau proverbe que ceux qui sont aimés des Dieux meurent jeunes, je ne peux m'empêcher de croire qu'ils avaient cette sorte de mort aussi en vue. Car sûrement, quelque âge auquel elle rattrape l'homme, c’est mourir jeune. Il n’a pas été permit à la Mort de lui ôter du coeur même une seule illusion.
  • Il n’y a qu’un souhait réalisable sur terre; qu’une chose qui peut être parfaitement atteinte : la Mort. Et par une diversité de circonstances nous n’avons personne pour nous dire ça en vaut la peine.

Un étrange tableau nous faisons sur le chemin nos chimères, marchant incessamment, et nous refusant le temps du repos; infatigables, aventureux pionniers. Il est vrai que nous n’arriverons jamais au but; il est même plus que probable qu’un tel lieu n’existe pas; et si nous vivions des siècles et étions dotés des pouvoirs d’un dieu, nous ne nous trouverions pas beaucoup plus près à la fin de ce que nous voulons. O mains laborieuses des mortels! O pieds inlassables, voyageant vous ne savez où ! Bientôt, bientôt, vous semble-t-il, vous devez arriver sur quelque cime en évidence, et qu’un peu plus loin, contre le soleil couchant, discerner les flèches de l’El Dorado. Vous êtes loin de savoir votre bénédiction; car voyager avec l’espoir vaut mieux que d’arriver, et le véritable succès est dans le labeur.


Voyages avec un âne dans les Cévennes

  • Mais nous sommes tous des voyageurs dans ce que John Bunyan appelle le désert de ce monde - tous, aussi, des voyageurs avec un âne : et le meilleur que nous trouvons dans nos voyages est un ami honnête. Il est heureux le voyageur qui en trouve beaucoup. Nous voyageons, en vérité, pour les trouver. Ils sont le but et la récompense de la vie. Ils nous gardent digne de nous-mêmes; et quand nous sommes seuls, nous sommes seulement plus près de l'absent.
  • Dans ce monde d’imperfection nous accueillons avec plaisir des intimités même partielles. Et si nous n'en trouvons qu’une avec laquelle nous pouvons parler librement du fond du coeur, avec laquelle nous pouvons marcher dans l’amour et la simplicité sans dissimulation, nous n’avons aucune raison de querelle avec le monde ni Dieu.

Un Voyages dans les Terres

  • Savoir ce que vous préférez, au lieu de dire humblement Amen à ce que le monde vous dit que vous devriez préférer, c'est garder votre âme en vie. Un homme comme ça peut être généreux; il peut être honnête en quelque chose de plus que le sens commercial; il peut aimer ses amis d’une sympathie élective, personnelle, et non les accepter comme des accessoires du poste auquel il a été appelé. Il peut être un homme, en bref, agissant sur ses propres instincts, gardant la propre forme que Dieu a mise en lui; et non une simple manivelle dans la salle aux machines sociale, soudée à des principes qu'elle ne comprend pas, et pour des fins dont elle n'a cure.

Car quelqu’un osera-t-il m’affirmer que les affaires sont plus intéressantes que faire le fou parmi des barques ? Il doit n’avoir jamais vu de barque, ou jamais vu de bureau, celui qui parle ainsi. Et certes l'un est de loin meilleur pour la santé. Il ne devrait y avoir rien tant l'affaire d'un homme que ses amusements. Rien d'autre que la rapacité ne peut avancer le contraire; nul autre que

Mammon, l'esprit le moins inspiré qui tomba Du Ciel,

n'oserait risquer un mot en réponse. Il n’y a qu’un menteur hypocrite qui représenterait le marchant et le banquier comme des gens peinant désintéressément pour l'humanité, et donc fort utiles quand ils sont fort absorbés dans leurs transactions; car l'homme est plus important que les services qu’il rend.

  • Il y a si souvent une note de menace, quelque chose de criard et de métallique, dans la voix des cloches, que je crois que nous avons bien plus de douleur que de plaisir à les entendre; mais celles-ci, comme elles sonnaient au loin, tantôt hautes, tantôt basses, tantôt avec une cadence plaintive qui saisissait l'oreille comme le refrain d'une chanson populaire, étaient toujours modérées et accordées, et semblaient conformes à l'esprit des lieux quiets, rustiques, comme le bruit d'une cascade ou le babil d'une colonie de freux au printemps. J’aurais pu demander au sonneur sa bénédiction, brave, posé vieillard, qui balançait la corde si gentiment à l’heure de ses méditations. J’aurais pu bénir le prêtre ou les héritiers, ou quiconque peut être concerné par ces affaires-là en France, qui avaient laissé ces douces vieilles cloches pour égayer l'après-midi, et ne tenaient pas de meetings, ne faisaient pas de collecte, n'avaient pas leur nom imprimé et réimprimés dans le journal local, pour monter un carillon de remplaçants flambants neufs, en cuivre, fondu à Birmingham, qui bombarderait ses flancs à l'incitation d'un sonneur flambant neuf, et remplirait les échos de la vallée de terreur et d’émeute.


  • Après une bonne femme, et un bon livre, et du tabac, il n’y a rien d’agréable sur terre comme une rivière.
  • Les feuilles dansaient et jasaient dans le vent tout autour de nous. La rivière se hâtait cependant, et semblait chapitrer notre retard. Peu nous en souciait. La rivière savait où elle allait; nous autres pas : d’autant moindre notre hâte, où nous trouvions de bons quartiers et un théâtre plaisant pour une pipe. A cette heure, les agents de change hurlaient à la Bourse de Paris pour deux ou trois pour cent; mais nous avions aussi peu souci d’eux que du courant qui glissait, et sacrifions une hécatombe de minutes aux dieux du tabac et de la digestion. La hâte est la ressource des infidèles. Quand un homme a confiance en son propre coeur, et en celui de ses amis, demain vaut autant qu’aujourd'hui. Et s'il meurt entretemps, eh bien alors, il meurt là, et la question est résolue.
  • C'est très joli de parler de va-nu-pieds et de moralité. Six heures de surveillance policière (comme à moi), ou un rejet brutal par une porte d'auberge, change vos opinions sur le sujet comme une série de conférences. Tant que vous restez dans les régions supérieures, avec tout le monde s’inclinant à votre passage, les arrangements sociaux ont un très bel air; mais une fois prit dans les rouages, et vous souhaiteriez la société à tous les diables. Je donnerai aux hommes les plus respectables quinze jours d'une vie pareille, puis je leur offrirai deux pence pour ce qu’il restera de leur moralité.
  • Je trouve que je ne me lasse jamais des grandes églises. C'est mon genre de panoramas de montagne préféré. L'humanité ne fut jamais si heureusement inspirée que lorsqu'elle fit une cathédrale : une chose isolée et spécieuse comme une statue à première vue, et cependant, à l'examen, aussi vivante et intéressante qu’une forêt en détail. On ne peut pas mesurer la hauteur des clochers par la trigonométrie; ils sont absurdement courts, mais comme ils sont hauts pour l'oeil admiratif !
  • Personne ne devrait tenir de correspondance en voyage; c’est assez pénible d'avoir à écrire; mais la réception de lettres est la mort de toute sensation de congé. "Hors de mon pays et de moi-même je m'en vais". Je veux piquer une tête parmi de nouvelles conditions pour un temps, comme dans un autre élément. Je n'ai que faire de mes amis ou de mes affections pendant ce temps; en partant, j'ai laissé mon coeur chez moi dans un bureau, ou je l'ai envoyé m'attendre avec ma malle à ma destination. Quand mon voyage sera terminé, je ne manquerai pas de lire vos admirables lettres avec toute l'attention qu'elles méritent. Mais j'ai dépensé tout cet argent, voyez-vous, et donné tous ces coups de pagaie, à nulle autre fin qu'être loin; et cependant vous me tenez à la maison par vos perpétuelles communications. Vous tirez la ficelle, et je sens que je suis un oiseau attaché. Vous me poursuivez à travers toute l'Europe de ces petites vexations auxquelles je cherchais à échapper par mon départ. Il n'y a pas de réforme dans la guerre de la vie, je m’en rends bien compte, mais n'y aura-t-il pas même une semaine de permission ?
  • Tout baladin doit être cher au coeur bien pensant ; ne serait-ce que comme une protestation vivante contre les bureaux et l’esprit mercantile, et comme quelque chose qui nous rappelle que la vie n'est pas par nécessité le genre de chose que nous en faisons généralement. Même une société allemande, si vous la voyez quitter la ville au petit matin pour une campagne dans les places champêtres, parmi les arbres et les prés, a une saveur romantique pour l'imagination. Il n'y a personne, en-dessous de trente ans, de si mort que son coeur ne vibrera un peu à la vue d'un campement de bohémiens. 'Nous ne sommes pas tous des filateurs de coton'; ou, du moins, pas tous complètement. Il y a un peu de vie encore dans l'humanité : et la jeunesse trouvera par moments un brave mot à dire en défaveur des riches, et renoncera à une position sociale pour courir les routes avec un havresac.
  • Etre même un des faubouriens de l'art, laisse un beau cachet sur la figure d'un homme. Je me souviens une fois d’avoir dîné avec un groupe dans une auberge de Château-Landon. La plupart étaient indéniablement des porte-balles; d'autres des paysans aisés; mais il y avait un jeune garçon en sarrau, dont le visage se détachait parmi les autres incroyablement. Il semblait plus achevé; plus d’esprit le traversait; il avait un air vivant, expressif, et vous voyiez que ses yeux perçaient les choses. Mon camarade et moi nous demandions beaucoup qui et quoi il pouvait être. C'était temps de foire à Château-Landon, et quand nous allâmes voir les baraques, notre question eut sa réponse; car notre ami était là à jouer activement du crincrin pour faire cabrioler les paysans. C'était un ménestrier ambulant.
  • Voilà le genre de chose qui me réconcilie avec la vie : un vieux fripon, dépenaillé, siffleur, incompétent, avec les manières d'un gentleman, et la vanité d'un artiste, pour conserver le respect de lui-même !
  • Mais ce qui me plut le plus fut une de ses éruptions, quand nous eûmes causé toute la soirée des frictions, des indignités, et des pincements de sa vie errante. Quelqu'un disait, qu'il vaudrait mieux avoir un million d'argent liquide, et Mlle Ferrario admettait qu'elle préférerait cela énormément. 'Eh bien, moi non;' s'écria De Vauversin, en meurtrissant la table avec son poing. 'Si quelqu'un au monde est un raté, est ce pas moi ? J'avais un art, dans lequel j'ai fait des choses bien - aussi bien que certains - mieux peut-être que d'autres; et maintenant il m'est fermé au nez. Je dois battre le pays pour ramasser quatre sous et chanter des inepties. Pensez-vous que je regrette ma vie ? Pensez-vous que j'aimerais mieux être un bourgeois ventru, comme un veau ? Jamais ! J’ai eu des moments où j’ai été applaudi sur les planches : je n’en fais aucun cas; mais j'ai su en moi-même quelquefois, quand je n'obtenais pas un seul claquement de toute la salle, que j'avais trouvé une vraie intonation, ou un geste exact et parlant; et alors, messieurs, j'ai su le plaisir que c'était, ce que c'était de faire bien une chose, ce que c'était d'être un artiste. Et savoir ce qu’est l'art, c'est avoir un intérêt à jamais, comme aucun bourgeois ne peut en trouver dans ses préoccupations mesquines. Tenez, messieurs, je vais vous le dire - c'est comme une religion.'
  • Vous pouvez pagayer toute la journée; mais c'est quand vous rentrez chez vous à la tombée de la nuit, et regardez dans la chambre familiale, que vous trouvez l'Amour ou la Mort vous attendant auprès du poêle; et les plus belles aventures ne sont pas celles que nous partons chercher.