Citations - Marguerite Yourcenar
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Marguerite Yourcenar (1903 - 1987), écrivaine française.
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Œuvres
Alexis ou le traité du vain combat
- [...] À mesure que tombent l'une après l'autre nos illusions et nos croyances, nous connaissons mieux notre être véritable.
- Avoir du mérite à s'abstenir d'une faute, c'est une façon d'être coupable.
- Avoir peur de l'avenir, cela nous facilite la mort.
- C'est au moment où l'on rejette tous les principes qu'il convient de se munir de scrupules.
- Ce qui rend la pauvreté si dure, ce sont les privations, c'est la promiscuité.
- Il y a un apaisement au fond de toute grande impuissance.
- Il y a une jouissance à savoir qu'on est pauvre, qu'on est seul et que personne ne songe à nous. Cela simplifie la vie.
- Je commençais seulement à comprendre le sens de cette musique intérieure, de cette musique de joie et de désir sauvage que j'avais étouffée en moi.
- Je me demande si ce n'est pas le souvenir de notre jeunesse qui nous trouble devant celle des autres.
- La mort n'est peut-être que l'enfantement d'une âme.
- La sagesse, comme la vie, me parut faire de progrès continus, de recommencements, de patience.
- La vie des autres paraît toujours plus facile parce qu'on ne la vit pas.
- La vie est beaucoup plus complexe que toutes les définitions possibles ; toute image simplifiée risque toujours d'être grossière.
- Le bonheur n'est peut-être qu'un malheur mieux supporté.
- Nos défauts sont parfois les meilleurs adversaires que nous opposions à nos vices.
- Nous nous croyons purs tant que nous méprisons ce que nous ne désirons pas.
- On ne doit plus craindre les mots lorsqu'on a consenti aux choses.
- S'il est difficile de vivre, il est bien plus malaisé d'expliquer sa vie.
- [...] Tous nous serions transformés si nous avions le courage d'être ce que nous sommes.
- Tout bonheur est une innocence.
Anna, soror...
- Personne ne sait encore si tout ne vit que pour mourir ou ne meurt que pour renaître.
- Tout ce qui est beau s'éclaire de Dieu.
Archives du nord
- L'emploi qu'un homme finit par obtenir est rarement celui pour lequel il se croyait préparé et dans lequel il pensait pouvoir être utile.
Feux
- Beaucoup d'hommes se défont, peu d'hommes meurent.
- L’amour est un châtiment. Nous sommes punis de n’avoir pas pu rester seuls.
- On ne bâtit un bonheur que sur un fondement de désespoir. Je crois que je vais pouvoir me mettre à construire.
- Quand je perds tout, il me reste Dieu.
- Rien de plus sale que l'amour-propre.
L'Œuvre au Noir
- Ce n'était pas trop de toute une vie pour confronter l'un par l'autre ce monde où nous sommes et ce monde qui est nous.
- [...] Ce vice de l'entendement qui consiste à appréhender les objets afin de s'en servir, ou au contraire à les rejeter, sans entrer assez avant dans la substance individuée dont ils sont faits.
- Chacun de nous est son seul maître et son seul adepte. L'expérience se refait chaque fois à partir de rien.
- Depuis près d'un demi-siècle, il se servait de son esprit comme d'un coin pour élargir de son mieux les interstices du mur qui de toute part nous confine.
- Frère, il y a dans presque toutes les choses terrestres je ne sais quelle lie ou quel déboire qui vous en dégoûtent, et les rares objets qui par hasard ont la perfection en partage sont mortellement tristes.
- Il était de ces hommes qui ne cessent pas jusqu'au bout de s'étonner d'avoir un nom, comme on s'étonne en passant devant un miroir d'avoir un visage, et que ce soit précisément ce visage-là.
- [...] Il goûtait cette froide connaissance qu'on a des êtres quand on ne les désire plus.
- [...] Il m'advient rarement de quitter une maîtresse sans ce petit soupir de soulagement de l'écolier qui sort de l'école, et je crois bien que ce sera un soupir du même genre que je pousserai à l'heure de ma mort.
- Il taisait ses pensées qui pour lui comptaient le plus, mais il savait de longue date que celui qui s'expose par ses propos n'est qu'un sot, quand il est si facile de laisser les autres se servir de leur gosier et de leur langue pour former des sons.
- Il y avait entre eux l'intimité d'un secret bien gardé.
- Je me suis gardé de faire de la vérité une idole, préférant lui laisser son nom plus humble d'exactitude.
- Je ne me suis jamais entêté à une idée par crainte du désarroi où je tomberais sans elle.
- Je sais que je ne sais pas ce que je ne sais pas.
- L'homme est une entreprise qui a contre elle le temps, la nécessité, la fortune, et l'imbécile et toujours croissante primauté du nombre. [...] Les hommes tueront l'homme.
- La démarche de l'esprit se frayant un chemin à l'envers des choses menait à coup sûr à des profondeurs sublimes, mais rendait impossible l'exercice même qui consiste à être. Il avait trop longtemps aliéné le bonheur d'aller droit devant soi dans l'actualité du moment, laissant le fortuit redevenir son lot, ne sachant pas où il coucherait ce soir, ni comment dans huit jours il gagnerait son pain. Le changement était une renaissance et presque une métempsycose.
- [...] La doctrine du salut par la foi ravale la dignité de l'homme.
- [...] La musique m'a toujours paru à la fois un spécifique et une fête.
- [...] La voie qui consiste à tout nier, pour voir si l'on peut ensuite réaffirmer quelque chose, à tout défaire, pour regarder ensuite tout se refaire sur un autre plan ou à notre guise [...]
- Magiques enfin l'amour, et la haine, qui impriment dans nos cerveaux l'image d'un être par lequel nous consentons à nous laisser hanter.
- Mais quand je vois combien peu de gens lisent L'Iliade d'Homère, je prends plus gaiement mon parti d'être peu lu.
- Mon métier me parut vain, ce qui est presque aussi absurde que de le croire sublime.
- On n'est bien que libre, et cacher ses opinions est encore plus gênant que de couvrir sa peau.
- On n'est pas libre tant qu'on désire, qu'on veut, qu'on craint, peut-être tant qu'on vit.
- Peu de bipèdes depuis Adam ont mérité le nom d'homme.
- [En parlant de Dieu] Peut-être n'est-Il dans nos mains qu'une petite flamme qu'il dépend de nous d'alimenter et de ne pas laisser éteindre ; peut-être sommes-nous la pointe la plus avancée à laquelle Il parvienne...
- Qu'est l'erreur, et son succédané le mensonge [...] sinon une sorte de Caput Mortuum, une matière inerte sans laquelle la vérité trop volatile ne pourrait se triturer dans les mortiers humains ?
- Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison ?
- [...] Tout soldat rencontré dans un lieu désert tourne aisément au bandit.
- Un bon négociateur ne fait pas confiance.
- Vaut-il la peine de s'évertuer durant vingt ans pour arriver au doute, qui pousse de lui-même dans toutes les têtes bien faites ?
- Vous autres poètes avez fait de l'amour une immense imposture : ce qui nous échoit semble toujours moins beau que ces rimes accolées comme deux bouches l'une sur l'autre.
Le lait de la mort
- Laissons le choix au Hasard, cet homme de paille de Dieu.
Les yeux ouverts
- Bien plutôt qu'anthropomorphiser l'animal, l'homme a choisi le plus souvent de sacraliser en s'animalisant.
- Il faut toujours un coup de folie pour bâtir un destin.
- Je ne nie pas les moments de bonheur, mais je crois qu'il y a un fond d'incconscience et d'égoïsme chez tous ceux, qui, en termes vagues et généraux, déclarent que « la vie est belle ».
- Nous passons tous, sans cesse, par des seuils initiatiques. Chaque accident, chaque incident, chaque joie et chaque souffrance est une initiation. Et la lecture d'un beau livre, la vue d'un grand paysage peuvent l'être aussi. Mais peu de gens sont assez attentifs ou réfléchis pour s'en rendre compte.
- Quand on aime la vie, on aime le passé, parce que c'est le présent tel qu'il a survécu dans la mémoire humaine.
Mémoires d'Hadrien
- C'est avoir tort que d'avoir raison trop tôt.
- C'est insulter les autres que de paraître dédaigner leurs joies.
- Ce qui nous rassure du sommeil, c'est qu'on en sort, et qu'on en sort inchangé, puisqu'une interdiction bizarre nous empêche de rapporter avec nous l'exact résidu de nos songes.
- César avait raison de préférer la première place dans un village à la seconde à Rome. Non par ambition, ou par vaine gloire, mais parce que l'homme placé en second n'a le choix qu'entre les dangers de l'obéissance, ceux de la révolte, et ceux, plus graves, du compromis. Extrait de Mémoires d'Hadrien
- [...] Chaque homme a éternellement à choisir, au cours de sa vie brève, entre l'espoir infatigable et la sage absence d'espérance, entre les délices du chaos et celles de la stabilité, entre le Titan et l'Olympien. À choisir entre eux, ou à réussir à les accorder un jour l'un à l'autre.
- Comme tout le monde, je n'ai à mon service que trois moyens d'évaluer l'existence humaine : l'étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus féconde des méthodes ; l'observation des hommes, qui s'arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu'ils en ont ; les livres, avec les erreurs particulières de perspectives qui naissent entre leurs lignes.
- Construire, c'est collaborer avec la terre : c'est mettre une marque humaine sur un paysage qui en sera modifié à jamais.
- [...] Dans tout combat entre le fanatisme et le sens commun, ce dernier a rarement le dessus.
- [...] Des moments libres. Toute vie bien réglée a les siens, et qui ne sait pas les provoquer ne sait pas vivre.
- Il me déplaît qu'une créature croie pouvoir escompter mon désir, le prévoir, mécaniquement s'adapter à ce qu'elle suppose mon choix. Ce reflet imbécile et déformé de moi-même que m'offre à ces moments une cervelle humaine me ferait préférer à ces moments les tristes effets de l'ascétisme.
- Il y a plus d'une sagesse, et toutes sont nécessaires au monde ; il n'est pas mauvais qu'elles alternent.
- J'ai compris que peu d'hommes se réalisent avant de mourir.
- Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l'esclavage : on en changera tout au plus le nom.
- Je ne me querelle plus avec les médecins ; leurs sots remèdes m'ont tué ; mais leur présomption, leur pédantisme hypocrite est notre œuvre : ils mentiraient moins si nous n'avions pas si peur de souffrir.
- Je vois une objection à tout effort pour améliorer la condition humaine : c'est que les hommes en sont peut-être indignes.
- La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné, où gisent sans honneurs des morts qu'ils ont cessé de chérir. Toute douleur prolongée insulte à leur oubli.
- La morale est une convention privée ; la décence est affaire publique ; toute licence trop visible m'a toujours fait l'effet d'un étalage de mauvais aloi.
- [...] La plus haute forme de vertu, la seule que je supporte encore : la ferme détermination d'être utile.
- [...] La possibilité de jeter le masque en toutes choses est l'un des rares avantages que je trouve à vieillir.
- La tendresse du père est presque toujours en conflit avec les intérêts du chef.
- Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté pour la première fois un coup d'œil intelligent sur soi-même.
- [...] Les Grecs et les Juifs, incompatibles éternels.
- Les lois sont dangereuses quand elles retardent sur les mœurs. Elles le sont davantage lorsqu'elles se mêlent de les précéder.
- Nos recueils d'anecdotes sont pleins d'histoires de gourmets jetant leurs domestiques aux murènes, mais les crimes scandaleux et facilement punissables sont peu de chose au prix de milliers de monstruosités banales, journellement perpétrées par des gens de bien au cœur sec que personne ne songe à inquiéter.
- Notre grande erreur est d'essayer d'obtenir de chacun en particulier les vertus qu'il n'a pas, et de négliger de cultiver celles qu'il possède.
- On n'a rien compris à la maladie, tant qu'on n'a pas reconnu son étrange ressemblance avec la guerre et l'amour : ses compromis, ses feintes, ses exigences, ce bizarre et unique amalgame produit par le mélange d'un tempérament et d'un mal.
- [...] Qu'est la volupté elle même, sinon un moment d'attention passionnée du corps ?
- Qu'est notre insomnie, sinon l'obstination maniaque de notre intelligence à manufacturer des pensées, des suites de raisonnements, des syllogismes et des définitions bien à elle, son refus d'abdiquer en faveur de la divine stupidité des yeux clos ou de la sage folie des songes ? L'homme qui ne dort pas [...] se refuse plus ou moins consciemment à faire confiance au flot des choses.
- Quand on aura allégé le plus possible les servitudes inutiles, évité les malheurs non nécessaires, il restera toujours, pour tenir en haleine les vertus héroïques de l'homme, la longue série des maux véritables, la mort, la vieillesse, les maladies non guérissables, l'amour non partagé, l'amitié rejetée ou trahie, la médiocrité d'une vie moins vaste que nos projets et plus ternes que nos songes : tous les malheurs causés par la divine nature des choses.
- Quand tous les calculs compliqués s'avèrent faux, quand les philosophes eux-mêmes n'ont plus rien à nous dire, il est excusable de se tourner vers le babillage fortuit des oiseaux, ou vers le lointain contrepoids des astres.
- Rien n'est plus lent que la véritable naissance d'un homme.
- Tâchons d'entrer dans la mort les yeux ouverts.
- Tout bonheur est un chef-d'œuvre : la moindre erreur le fausse, la moindre hésitation l'altère, la moindre lourdeur le dépare, la moindre sottise l'abêtit.
- [...] Tout ce que les hommes ont dit de mieux a été dit en grec.
- Tout être qui a vécu l'aventure humaine est moi.
- Toute loi trop souvent transgressée est mauvaise : c'est au législateur à l'abroger ou à la changer, de peur que le mépris où cette folle ordonnance est tombée ne s'étende à d'autres lois plus justes.
- [...] Toute tolérance accordée aux fanatiques leur fait croire immédiatement à de la sympathie pour leur cause.
- Un homme qui lit, ou qui pense, ou qui calcule, appartient à l'espèce et non au sexe ; dans les meilleurs moments il échappe même à l'humain.
- Un triomphe ne sied guère qu'aux morts. Vivant, il se trouve toujours quelqu'un pour nous reprocher nos faiblesses [...].
- Tout bonheur est un chef-d'œuvre : la moindre erreur le fausse, la moindre hésitation l'altère, la moindre lourdeur le dépare, la moindre sottise l'abêtit.
Média
Entretien avec Claude Servan-Schreiber (Juillet 1976)
- L'histoire ne s'intéresse qu'aux privilégiés.
- La nature humaine change peut tout en étant capable d'une plasticité extraordinaire à l'extérieur.
- La relation entre l'écrivain et ses personnages est difficile à décrire. C'est un peu la même qu'entre des parents et des enfants.
- Le « moi » est une commodité grammaticale, philosophique, psychologique.
- Les conventions finissent par former les êtres.
- Les êtres finissent toujours par vous échapper.
- Très peu d'hommes et de femmes existent par eux-mêmes, ont le courage de dire oui ou non par eux-mêmes.
Attribuées
- Avoir du mérite à s'abstenir d'une faute, c'est une façon d'être coupable.
- Beaucoup d'hommes se défont, peu d'hommes meurent.
- C'est au moment où l'on rejette tous les principes qu'il convient de se munir de scrupules.
- C'est un fait que les morts les plus chers, au bout de quelques mois, seraient, s'ils revenaient, des intrus dans l'existence des vivants.
- Il faut toujours un coup de folie pour bâtir un destin.
- Il me déplait qu'une créature croie pouvoir escompter mon désir, le prévoir, mécaniquement s'adapter à ce qu'elle suppose mon choix.
- Il n'est pas difficile de nourrir des pensées admirables lorsque les étoiles sont présentes.
- Il n'y a pas d'amour malheureux : on ne possède que ce qu'on ne possède pas. Il n'y a pas d'amour heureux : ce qu'on possède, on ne le possède plus.
- Je m'accommoderais fort mal d'un monde sans livres, mais la réalité n'est pas là, parce qu'elle n'y tient pas tout entière.
- Je ne me tuerai pas, on oublie si vite les morts.
- Je ne suis pas encore assez faible pour céder aux imaginations de la peur, presque aussi absurdes que celles de l'espérance, et assurément beaucoup plus pénibles... Je n'en suis pas moins arrivé à l'âge où la vie, pour chaque homme, est une défaite acceptée.
- L'alcool dégrise. Après quelques gorgées de cognac, je ne pense plus à toi.
- L'insolite et l'illicite, deux ingrédients indispensables de toute pornographie. Cité en préface de Gita Govinda ~ Shri Jayadeva
- La passion comblée a son innocence, presque aussi fragile que toute autre.
- a philosophie épicurienne, ce lit étroit, mais propre.
- La protection de l'animal, c'est au fond le même combat que la protection de l'homme.
- Le bonheur n'est peut-être qu'un malheur mieux supporté.
- Le malheur est que, parfois, des souhaits s'accomplissent, afin que se perpétue le supplice de l'espérance.
- Le silence est fait de paroles que l'on n'a pas dites.
- Les villes portent les stigmates des passages du temps, occasionnellement les promesses d'époques futures.
- Manier les mots, les soupeser, en explorer le sens, est une manière de faire l'amour...
- Nos défauts sont parfois les meilleurs adversaires que nous opposions à nos vices.
- Nous nous croyons purs tant que nous méprisons ce que nous ne désirons pas.
- Presque tous méconnaissent également leur juste liberté et leur vraie servitude... Pour moi, j'ai cherché la liberté plus que la puissance, et la puissance seulement parce qu'en partie elle favorisait la liberté.
- Tous nous serions transformés si nous avions le courage d'être ce que nous sommes.
- Tout moment est dernier, parce qu'il est unique.