Citations - Émile Michel Cioran

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Émile Michel Cioran (1911 - 1995), écrivain et philosophe roumain, s'exprimant uniquement en francais a la fin de sa vie.

Sommaire

Œuvres

Carnets

  • Je lis de moins en moins l'anglais et l'allemand ; ce sont des langues qui mettent trop de flou dans mon esprit — qui n'en a vraiment pas besoin. Et puis j'ai plus que l'impression, la certitude, qu'on ne peut formuler qu'en français, et qu'en tout autre langue on se laisse aller au charme et à la débauche de l'approximation.
  • La preuve que, pour parler avec Rivarol, la probité définit la langue française, c'est que le subjonctif y abonde plus que dans d'autres. Le français ou le respect de l'incertitude.

De l'inconvénient d'être né (1973)

  • À quoi la musique fait appel en nous, il est difficile de le savoir ; ce qui est certain, c'est qu'elle touche une zone si profonde que la folie elle-même n'y saurait pénétrer.
  • Aime à être ignoré.
  • Après minuit commence la griserie des vérités pernicieuses.
  • Avec du sarcasme, on peut seulement masquer ses blessures, sinon ses dégoûts.
  • Avec le recul, plus rien n'est bon, ni mauvais. L'historien qui se mêle de juger le passé fait du journalisme dans un autre siècle.
  • [...] C'est la volonté de donner notre maximum qui nous porte aux excès et aux dérèglements.
  • C'est une aberration de se vouloir différent de ce qu'on est, d'épouser en théorie toutes les conditions, sauf la sienne.
  • Ce n’est pas la peine de se tuer, puisqu’on se tue toujours trop tard.
  • Ce n’est pas la peur d’entreprendre, c’est la peur de réussir, qui explique plus d’un échec.
  • Ce n'est pas le malheur, c'est le bonheur, le bonheur insolent, il est vrai, qui conduit à l'aigreur et au sarcasme.
  • Ce qu'on appelle « sagesse » n'est au fond qu'une perpétuelle « réflexion faite », c'est-à-dire la non-action comme premier mouvement.
  • Ce que les autres font, nous avons toujours l'impression que nous pourrions le faire mieux. Nous n'avons malheureusement pas le même sentiment à l'égard de ce que nous faisons nous-mêmes.
  • Ce qui est fâcheux dans les malheurs publics, c'est que n'importe qui s'estime assez compétent pour en parler.
  • Certains ont des malheurs; d'autres, des obsessions. Lesquels sont le plus à plaindre ?
  • Ceux que nous n'aimons pas brillent rarement dans nos rêves.
  • [...] Chacun engendre son propre ennemi.
  • Chacun expie son premier instant.
  • Chaque fois que je suis saisis par un accès de fureur, au début je m’en afflige et me méprise, ensuite je me dis : quelle chance, quelle aubaine ! Je suis encore en vie, je fais toujours partie de ces fantômes en chair et en os…
  • [...] Choyé par la malchance.
  • Dans l'anxiété et l'affolement, le calme soudain à la pensée du fœtus qu'on a été.
  • Dès que quelqu’un se convertit à quoi que ce soit, on l’envie tout d’abord, puis on le plaint, ensuite on le méprise.
  • Deux ennemis, c'est un même homme divisé.
  • Dieu seul a le privilège de nous abandonner. Les hommes ne peuvent que nous lâcher.
  • Dire que tant et tant ont réussi à mourir !
  • Écrire est l'acte le moins ascétique qui soit.
  • [En parlant de l'homme] un singe occupé.
  • Être en vie — tout à coup je suis frappé par l'étrangeté de cette expression, comme si elle ne s'appliquait à personne.
  • Être objectif, c'est traiter l'autre comme on traite un objet, un macchabée, c'est se comporter à son égard en croque-mort.
  • Faire le mal est un plaisir, non une joie. La joie, seule vraie victoire sur le monde, est pure dans son essence, elle est donc irréductible au plaisir, toujours suspect et en lui-même et dans ses manifestations.
  • [...] Guérir de l'ennui par la stupeur.
  • Il faudrait se répéter chaque jour : Je suis l’un de ceux qui, par milliards, se traînent sur la surface du globe. L’un d’eux, et rien de plus. Cette banalité justifie n’importe quel conclusion, n’importe quel comportement ou acte : débauche, chasteté, suicide, travail, paresse ou rébellion.
    … D’où il suis que chacun a raison de faire ce qu’il fait.
  • Il n'est pas d'art vrai sans une forte dose de banalité. Celui qui use de l'insolite d'une manière constante lasse vite, rien n'étant plus insupportable que l'uniformité de l'exceptionnel.
  • Il n’y a pas de chagrin limite.
  • Il ne faut pas s'astreindre à une œuvre, il faut seulement dire quelque chose qui puisse se murmurer à l'oreille d'un ivrogne ou d'un mourant.
  • Il répugnait aux vérités objectives, à la corvée de l'argumentation, aux raisonnements soutenus. Il n'aimait pas démontrer, il ne tenait à convaincre personne. Autrui est une invention de dialecticien.
  • Il tombe sous le sens que Dieu était une solution, et qu'on n'en trouvera jamais une aussi satisfaisante.
  • Il y a dans le fait de naître une telle absence de nécessité, que lorsqu’on y songe un peu plus que de coutume, faute de savoir comment réagir, on s’arrête à un sourire niais.
  • Imaginer, c'est se restreindre, c'est exclure.
  • J'ai décidé de plus m'en prendre à personne depuis que j'ai observé que je finis toujours par ressembler à mon dernier ennemi.
  • J'ai toujours cherché les paysages d'avant Dieu. D'où mon faible pour le Chaos.
  • J'aime lire comme lit une concierge : m'identifier à l'auteur et au livre. Toute autre attitude me fait penser au dépeceur de cadavres.
  • J’aimerai être libre, éperdument libre. Libre comme un mort-né.
  • Jamais à l'aise dans l'immédiat, ne me séduit que ce qui me précède, que ce qui m'éloigne d'ici, les instants sans nombre où je ne fus pas: le non-né.
  • Je le sais. Mais à quoi me sert-il de le savoir ?
  • Je n'ai pas la foi, heureusement. L'aurais-je, que je vivrais avec la peur constante de la perdre. Ainsi, loin de m'aider, ne ferait-elle que me nuire.
  • Je n'ai pas rencontré un seul esprit intéressant qui n'ait été largement pourvu en déficiences inavouables.
  • Je n'aimerais pas qu'on fût équitable à mon endroit : je pourrais me passer de tout, sauf du tonique de l'injustice.
  • Je ne connais la paix que lorsque mes ambitions s’endorment. Dès qu’elles se réveillent, l’inquiétude me reprend. La vie est un état d’ambition. La taupe qui creuse ses couloirs est ambitieuse. L’ambition est en effet partout, et on en voit les traces jusque sur le visage des morts.
  • Je ne lirai plus les sages. Ils m'ont fait trop de mal. J'aurais du me livrer à mes instincts, laisser s'épanouir ma folie. J'ai fait tout le contraire, j'ai pris le masque de la raison, et le masque a fini par se substituer au visage, et par usurper tout le reste.
  • Je ne me pardonne pas d’être né. C’est comme si, en m’insinuant dans ce monde, j’avais profané un mystère, trahi quelque engagement de taille, commis une faute d’une gravité sans nom.
  • Je pense à tant d’amis qui ne sont plus, et je m’apitoie sur eux. Pourtant ils ne sont pas tellement à plaindre, car ils ont résolu tous les problèmes, en commençant par celui de la mort.
  • Je rêve d'un confesseur idéal, à qui tout dire, tout avouer, je rêve d'un saint blasé.
  • Je sais que ma naissance est un hasard, un accident risible, et cependant, dès que je m'oublie, je me comporte comme si elle était un événement capital, indispensable à la marche et à l'équilibre du monde.
  • L'admiration n'a rien à voir avec le respect.
  • L'avantage d'être quelqu'un est plus rare que celui d'oeuvrer. Produire est facile; ce qui est difficile, c'est dédaigner de faire usage de ses dons.
  • [...] L'échec, toujours essentiel, nous dévoile à nous-mêmes, il nous permet de nous voir comme Dieu nous voit, alors que le succès nous éloigne de ce qu'il y a de plus intime en nous et en tout.
  • L'essentiel n'a jamais exigé le moindre talent.
  • L’histoire, à proprement parler, ne se répète pas, mais, comme les illusions des hommes est capable sont limités en nombre, elles reviennent toujours sous un autre déguisement, donnant ainsi à une saloperie archidécrépite un air de nouveauté et un vernis tragique.
  • L'homme accepte la mort mais non l'heure de sa mort. Mourir n'importe quand, sauf quand il faut que l'on meure !
  • L'homme est le cancer de la terre.
  • L'idée de progrès déshonore l'intellect.
  • L'inconscience est une patrie ; la conscience un exil.
  • [...] L'injustice d'exister.
  • L’innocence, état parfait, le seul peut-être. Il est incompréhensible que celui qui en jouit veuille ne sortir. Pourtant l’histoire, depuis ses commencements jusqu’à nous, n’est que cela et rien que cela.
  • L'interminable est la spécialité des indécis.
  • L'unique confession sincère est celle que nous faisons indirectement - en parlant des autres.
  • L'unique moyen de sauvegarder sa solitude est de blesser tout le monde, en commençant par ceux qu'on aime.
  • [...] La biographie d'une pensée [...]
  • La conscience est bien plus que l'écharde, elle est le poignard dans la chair.
  • La clairvoyance est le seul vice qui rende libre – libre dans un désert.
  • La hantise de la naissance, en nous transportant avant notre passé, nous fait perdre le goût de l’avenir, du présent et du passé même.
  • La maxime stoïcienne selon laquelle nous devons nous plier sans murmures aux choses qui ne dépendent pas de nous, ne tient compte que des malheurs extérieurs, qui échappent à notre volonté. Mais ceux qui viennent de nous-même, comment nous en accommoder ? Si nous sommes la source de nos maux, à qui nous en prendre ? à nous même ? Nous nous arrangeons heureusement pour oublier que nous sommes les vrais coupables, et d’ailleurs l’existence n’est tolérable que si nous renouvelons chaque jour ce mensonge et cet oubli.
  • La moindre variation atmosphérique remet en cause mes projets, je n’ose dire mes convictions. Cette forme de dépendance, la plus humiliante qui soit, ne laisse pas de m’abattre, en même temps qu’elle dissipe le peu d’illusion qui me restaient sur mes possibilités d’être libre, et sur la liberté tout court. A quoi bon se rengorger si on est à le merci de l’Humide et du Sec ? On souhaiterait esclavage moins lamentable, et des dieux d’un autre acabit.
  • [...] La pensée de la mort aide à tout, sauf à mourir!
  • La peur rend conscient, la peur morbide et non la peur naturelle. Sans quoi les animaux auraient atteint un degré de conscience supérieur au nôtre.
  • La seule chose qu'on devrait apprendre aux jeunes est qu'il n'y a rien, mettons presque rien, à attendre de la vie.
  • Le Progrès est l'injustice que chaque génération commet à l'égard de celle qui l'a précédée.
  • La psyché – de l’air sans plus, du vent en somme, ou, au mieux, de la fumée -, les premiers Grecs la considéraient ainsi, et on leur donne volontiers raison toutes les fois que l’on est las de farfouiller dans son moi ou dans celui des autres, en quête de profondeurs insolites et, si possibles, suspectes.
  • La seule manière de nous acheminer vers l'universel est de nous occuper uniquement de ce qui nous regarde.
  • La seule manière de supporter revers après revers est d'aimer l'idée même de revers. Si on y parvient, plus de surprises: on est supérieur à tout ce qui arrive, on est une victime invincible.
  • La véritable, l’unique malchance : celle de voir le jour.
  • Le désir de paraître subtil ne nuit pas à la subtilité. Un débile mental, s'il pouvait ressentir l'envie d'épater, réussirait à donner le change et même à rejoindre l'intelligence.
  • Le droit de supprimer tous ceux qui nous agacent devrait figurer en première place dans la constitution de la Cité Idéale.
  • Le non-savoir est le fondement de tout, il crée le tout par un acte qu'il répète à chaque instant, il produit ce monde et n'importe quel monde, puisqu'il ne cesse de prendre pour réel ce qui ne l'est pas. Le non-savoir est la gigantesque méprise qui sert de base à toutes nos vérités, le non-savoir est plus et plus puissant que tous les dieux réunis.
  • Le paradis n’était pas supportable, sinon le premier homme s’en serait accommodé ; ce monde ne l’est pas davantage, puisqu’on y regrette le paradis ou l’on en escompte un autre. Que faire ? où aller ? Ne faisons rien et n’allons nulle part, tout simplement.
  • Le plaisir de se calomnier vaut de beaucoup celui d'être calomnié.
  • Le sage est celui qui consent à tout, parce qu'il ne s'identifie avec rien. Un opportuniste sans désir.
  • Le sage est un destructeur apaisé, retraité. Les autres sont des destructeurs en exercice.
  • Le salut? Tout ce qui amoindrit le règne de la conscience et en compromet la suprématie.
  • Le scepticisme est l'ivresse de l'impasse.
  • Le Temps, fécond en ressources, plus inventif et plus charitable qu’on ne pense, possède une remarquable capacité de nous venir en aide, de nous procurer à toute heure quelque humiliation nouvelle.
  • Le vrai contact entre les êtres ne s’établit que par la présence muette, par l’apparente non-communication, par l’échange mystérieux et sans parole qui ressemble à la prière intérieure.
  • Les affres de la vérité sur soi sont au-dessus de ce qu'on peut supporter. Celui qui ne se ment plus à lui-même (si tant est qu'un tel être existe), combien il est à plaindre!
  • Les avantages d'un état d'éternelle virtualité me paraissent si considérables, que, lorsque je me mets à les dénombrer, je n'en reviens pas que le passage à l'être ait pu s'opérer jamais.
  • Les obsessions sont les démons d'un monde sans foi.
  • Les penseurs de première main méditent sur des choses; les autres, sur des problèmes. Il faut vivre face à l'être, et non face à l'esprit.
  • Lorsqu'on a commis la folie de confier à quelqu'un un secret, le seul moyen d'être sûr qu'il le gardera pour lui, est de le tuer sur-le-champ.
  • Ma mission est de souffrir pour tous ceux qui souffrent sans le savoir. Je dois payer pour eux, expier leur inconscience, la chance qu’ils ont d’ignorer à quel point ils sont malheureux.
  • Montaigne, un sage, n’a pas eu de postérité ; Rousseau, un hystérique, remue encore les nations.
    Je n’aime que les penseurs qui n’ont inspiré aucun tribun.
  • N’a de convictions que celui qui n’a rien approfondi.
  • N'est pas humble celui qui se hait.
  • N'est profond, n'est véritable que ce que l'on cache. D'où la force des sentiments vils.
  • N’être pas né, rien que d’y songer, quel bonheur, quelle liberté, quel espace!
  • Naissance et chaîne sont synonymes. Voir le jour, voir des menottes...
  • [...] Naître, c'est s'attacher.
  • Ne dure que ce qui a été conçu dans la solitude, face à Dieu, que l'on soit croyant ou non.
  • Ne jamais s'évader du possible, se prélasser en éternel velléitaire, oublier de naître.
  • Ne regarde ni en avant ni en arrière, regarde en toi-même, sans peur ni regret. Nul ne descend en soi tant qu'il demeure esclave du passé ou de l'avenir.
  • Nous acceptons sans frayeur l’idée d’un sommeil ininterrompu, en revanche l’idée d’un éveil éternel (l’immortalité, si elle était concevable, serait bien cela), nous plonge dans l’effroi.
    L’inconscience est une patrie ; la conscience, un exil.
  • Nous aurions du être dispensé de traîner un corps. Le fardeau du moi suffisait.
  • Nous avons perdu en naissant autant que nous perdrons en mourant. Tout.
  • Nous n'avouons nos chagrins à un autre que pour le faire souffrir, pour qu'il les prenne à son compte. Si nous voulions nous l'attacher, nous ne lui ferions part que de nos tourments abstraits, les seuls qu'accueillent avec empressement tous ceux qui nous aiment.
  • Nous ne comprenons ce qu'est la mort qu'en nous rappelant soudain la figure de quelqu'un qui n'aura été rien pour nous.
  • Nous ne pardonnons qu'aux enfants et aux fous d'être francs avec nous: les autres, s'ils ont l'audace de les imiter, s'en repentiront tôt ou tard.
  • Nulle différence entre l'être et le non-être, si on les appréhende avec une égale intensité.
  • On a beau dire, la mort est ce que la nature a trouvé de mieux pour contenter tout le monde.
  • On a d'autant plus de prise sur ce monde qu'on s'en éloigne, qu'on n'y adhère pas. Le renoncement confère un pouvoir infini.
  • On doit se méfier des lumières qu'on possède sur soi. La connaissance que nous avons de nous-même, indispose et paralyse notre démon. C'est là qu'il faut chercher la raison pour laquelle Socrate n'a rien écrit.
  • On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu’on n’oserait confier à personne.
  • On ne redoute l'avenir que lorsqu'on n'est pas sûr de pouvoir se tuer au moment voulu.
  • On opte, on tranche aussi longtemps que l’on s’en tient à la surface des choses ; dès que l’on va au fond, on ne peut plus ni trancher ni opter, on ne peut que regretter la surface…
  • Orgueil moderne : j’ai perdu l’amitié d’un homme que j’estimais, pour m’être acharné à lui répété que j’étais plus dégénéré que lui…
  • Penser, c’est saper, c’est se saper. Agir entraîne moins de risques, parce que l’action remplit l’intervalle entre les choses et nous, alors que la réflexion l’élargit dangereusement.
    … Tant que je m’adonne à un exercice physique, à un travail manuel, je suis un homme heureux, comblé ; dès que je m’arrête, je suis pris d’un mauvais vertige, et ne songe plus qu’à déguerpir pour toujours.
  • Plus d'un déséquilibre - peut-être même tout déséquilibre - provient d'une vengeance qu'on a différée trop longtemps. Sachons exploser! N'importe quel malaise est plus sain que celui que suscite une rage thésaurisée.
  • Plus les hommes s'éloignent de Dieu, plus ils avancent dans la connaissance des religions.
  • Plus on vit, moins il semble utile d'avoir vécu.
  • Plus quelqu'un est comblé de dons, moins il avance sur le plan spirituel. Le talent est un obstacle à la vie intérieure.
  • Quand il me faut mener à bien une tâche que j'ai assumée par nécessité ou par goût, à peine m'y suis-je attaqué, que tout me semble important, tout me séduit, sauf elle.
  • Quand la coutume de regarder les choses en face tourne à la manie, on pleure le fou qu’on a été et qu’on n’est plus.
  • Quand on revoit quelqu'un après de longues années, il faudrait s'asseoir l'un en face de l'autre et ne rien dire pendant des heures, afin qu'à la faveur du silence la consternation puisse se savourer elle-même.
  • Quand on se connaît bien, si on ne se méprise pas totalement, c’est parce que l’on est trop las pour se livrer à des sentiments extrêmes.
  • Que tout soit dépourvu de consistance, de fondement, de justification, j'en suis d'ordinaire si assuré, que, celui qui oserait me contredire, fût-il l'homme que j'estime le plus, m'apparaîtrait comme un charlatan ou un abruti.
  • Regarder sans comprendre, c'est le paradis. L'enfer serait donc le lieu où l'on comprend, où l'on comprend trop...
  • S'il entre dans la lucidité tant d'ambiguïté et de trouble, c'est qu'elle est le résultat du mauvais usage que nous avons fait de nos veilles.
  • Se tuer parce que l’on est, oui, mais non parce que l’humanité entière vous cracherait à la figure !
  • Seuls les demi-malheurs sont féconds, parce qu’ils peuvent être, parce qu’ils sont un point de départ, alors qu’un enfer trop parfait est presque aussi stérile que le paradis.
  • Si l'on pouvait se voir avec les yeux des autres, on disparaîtrait sur-le-champ.
  • Si la mort n’avait que des côtés négatifs, mourir serait un acte impraticable.
  • [...] Tout ce que nous possédons n'est qu'un capital de non-être.
  • Tout ce que nous pouvons avoir de bon vient de notre indolence, de notre incapacité de passer à l’acte, de mettre à exécution nos projets et nos desseins. C’est l’impossibilité ou le refus de nous réaliser qui entretient nos « vertus », et c’est la volonté de donner notre maximum qui nous porte aux excès et aux dérèglements.
  • Tout est unique - et insignifiant.
  • Tout malaise individuel se ramène, en dernière instance, à un malaise cosmogonique, chacune de nos sensations expiant ce forfait de la sensation primordiale, par quoi l'être se glissa hors d'on ne sait où...
  • [...] Tout malaise n'est qu'une expérience métaphysique avortée.
  • Toute forme de hâte, même vers le bien, trahit quelque dérangement mental.
  • Toute pensée dérive d'une sensation contrariée.
  • Toutes les fois que je ne songe pas à la mort, j’ai l’impression de tricher, de tromper quelqu’un en moi.
  • [...] Un enfer trop parfait est presque aussi stérile que le paradis.
  • « Un ennemi est aussi utile qu’un Bouddha. » C’est bien cela. Car notre ennemi veille sur nous, il nous empêche de nous laisser aller. En signalant, en divulguant la moindre de nos défaillances, il nous conduit en droite ligne à notre salut, il met tout en œuvre pour que nous ne soyons pas indigne de l’idée qu’il s’est faite de nous. Aussi notre gratitude à son égard devrait être sans borne.
  • Un livre est un suicide différé.
  • Un pauvre type qui sent le temps, qui en est victime, qui en crève, qui n’éprouve rien d’autre, qui est temps à chaque instant, connaît ce qu’un métaphysicien ou un poète ne devine qu’à la faveur d’un effondrement ou d’un miracle.
  • [...] Un rien de plein [...]
  • Un texte expliqué n'est plus un texte. On vit avec une idée, on ne la désarticule pas; on lutte avec elle, on n'en décrit pas les étapes.
  • Un zoologiste qui, en Afrique, a observé de près les gorilles, s'étonne de l'uniformité de leur vie et de leur grand désoeuvrement. Des heures et des heures sans rien faire... Ils ne connaissent donc pas l'ennui ? Cette question est bien d'un homme, d'un singe occupé. Loin de fuir la monotonie, les animaux la recherchent, et ce qu'ils redoutent le plus c'est de la voir cesser. Car elle ne cesse que pour être remplacée par la peur, cause de tout affairement.
    L'inaction est divine. C'est pourtant contre elle que l'homme s'est insurgé. Lui seul, dans la nature, est incapable de supporter la monotonie, lui seul veut à tout prix que quelque chose arrive, n'importe quoi. Par là, il se montre indigne de son ancêtre : le besoin de nouveauté est le fait d'un gorille fourvoyé.
  • [...] Une démence intéressée...
  • Une seule chose importe: apprendre à être perdant.
  • Vivre, c'est perdre du terrain.

La tentation d'exister

  • [...] À quelques criminels près, tout le monde aspire à avoir une âme publique, une âme-affiche.
  • [...] Ce « grand triste » [en parlant du Diable] est un rebelle qui doute.
  • [...] Ce climat d'asthme que créent les convictions [...]
  • [...] Ce qui nous vénérons dans nos dieux ce sont nos défaites en beau.
  • Contaminés par la superstition de l'acte, nous croyons que nos idées doivent aboutir.
  • Créer une littérature c'est créer une prose.
  • [...] Devenir métaphysiquement étrangers.
  • [...] Devenir un vaincu décent, un réprouvé convenable.
  • Examinez les esprits qui réussissent à nous intriguer: loin de faire la part des choses, ils défendent des positions insoutenables.
  • Il n'est point aisé de n'être de nulle part, quand aucune condition extérieure ne vous y contraint.
  • [...] J'ai eu le tort de fréquenter bon nombre de poètes. À quelques exceptions près, ils étaient inutilement graves, infatués ou odieux, des monstres eux aussi, des spécialités, tout ensemble tortionnaires et martyrs de l'adjectif, et dont j'avais surfait le dilettantisme, la clairvoyance, la sensibilité au jeu intellectuel. La futilité ne serait-elle qu'un « idéal »?
  • L'amour ou la haine que nous lui portons [à Dieu] révèle moins la qualité de nos inquiétudes que la grossièreté de notre cynisme.
  • L'art de se survivre, ils [les occidentaux] s'y distinguent déjà.
  • [...] L'art de vivre [...] consiste dans l'expérience intégrale du présent.
  • L'aspiration à « sauver le monde » est le phénomène morbide de la jeunesse d'un peuple.
  • L'écrivain, c'est sa fonction, dit toujours plus qu'il n'a à dire: il dilate sa pensée et la recouvre de mots. Seuls subsistent d'une œuvre deux ou trois moments: des éclairs dans du fatras. Vous dirais-je le fond de ma pensée? Tout mot est un mot de trop. Il s'agit pourtant d'écrire: écrivons..., dupons-nous les uns les autres.
  • L'esprit est vampire.
  • L'expérience du vide est la tentation mystique de l'incroyant, sa possibilité de prière, son moment de plénitude.
  • L'expression n'étant pas de taille à se mesurer avec les événements, fabriquer des livres et s'en montrer fier, constitue un spectacle des plus pitoyables: quelle nécessité pousse un écrivain qui a écrit cinquante volumes à en écrire encore un autre? pourquoi cette prolifération, cette peur d'être oublié, cette coquetterie de mauvais aloi?
  • L'habitude du raisonnement et de la spéculation est l'indice d'une insuffisance vitale et d'une détérioration de l'affectivité. Pensent avec méthode ceux-là seuls qui, à la faveur de leurs déficiences, parviennent à s'oublier, à ne plus faire corps avec leurs idées: la philosophie, apanage d'individus et de peuples biologiquement superficiels.
  • [...] L'histoire, agression de l'homme contre lui même, [...]; se vouer à l'histoire, c'est apprendre à s'insurger, à imiter le Diable.
  • [...] L'orgasme du remords.
  • [...] L'utopie, presbytie des vieux peuples.
  • La barbarie est accessible à quiconque: il suffit d'y prendre goût.
  • La destruction des idoles entraîne celle des préjugés.
  • [...] La haine équivaut à un reproche que l'on n'ose se faire à soi, à une intolérance à l'égard de notre idéal incarné dans autrui.
  • [...] La rage d'un amour-haine.
  • La raison : rouille de notre vitalité.
  • La sphère de la conscience se rétrécissant dans l'action, nul qui agit ne peut prétendre à l'universel, car agir c'est se cramponner aux propriétés de l'être au détriment de l'être, à une forme de réalité au préjudice de la réalité. Le degré de notre affranchissement se mesure à la quantité d'entreprises dont nous nous serons émancipés, comme à notre capacité de convertir tout objet en non-objet.
  • [...] La volupté d'être épave [...]
  • [...] Le génie du regret.
  • Le meurtre suppose et couronne la révolte: celui qui ignore le désir de tuer aura beau professer des opinions subversives, il ne sera jamais qu'un conformiste.
  • Le tact, vice terrien, préjugé des civilisations enracinées, instinct du protocole [...]
  • Les rides d'une nation sont aussi visibles que celles d'un individu.
  • [...] Ménopauses métaphysiques [...]
  • Mes convictions sont des prétextes: de quel droit vous les imposerais-je?
  • N'importe qui se sauve par le sommeil, n'importe qui a du génie en dormant : point de différence entre les rêves d'un boucher et ceux d'un poète. Mais notre clairvoyance ne saurait tolérer qu'une telle merveille dure, ni que l'inspiration soit mise à la portée de tous: le jour nous retire les dons que la nuit nous dispense.
  • Nombreux sont ceux qui s'apprêtent à vénérer n'importe quelle idole et à servir n'importe quelle vérité, pourvu que l'une et l'autre leur soient infligées et qu'ils n'aient pas à fournir l'effort de choisir leur honte ou leur désastre.
  • Notre mal ? Des siècles d'attention au temps, d'idolâtrie du devenir.
  • [...] Nous sommes tous des Lucifers de statistique.
  • Nul être soucieux de son équilibre ne devrait dépasser un certain degré de lucidité et d'analyse.
  • On ne détruit pas, on se détruit.
  • On ne peut être normal et vivant à la fois.
  • On périt toujours par le moi qu'on assume : porter un nom c'est revendiquer un mode exact d'effondrement.
  • Personne ne peut sauver la jeunesse de ses chagrins.
  • Plus rien à poursuivre, sinon la poursuite du rien. La Vérité ? Une marotte d'adolescents, ou un symptôme de sénilité.
  • Que l'homme n'aime rien, et il sera invulnérable (Tchouang-Tse). Maxime profonde autant qu'inopérante. L'apogée de l'indifférence, comment y atteindre, quand notre apathie même est tension, conflit, agressivité?
  • Quiconque s'avise d'atténuer notre solitude ou nos déchirements agit à l'encontre de nos intérêts et de notre vocation.
  • [S'] engager dans n'importe quoi sans y adhérer.
  • Se détruit quiconque, répondant à sa vocation et l'accomplissant, s'agite à l'intérieur de l'histoire; celui-là seul se sauve qui sacrifie dons et talents pour que, dégagé de sa qualité d'homme, il puisse se prélasser dans l'être.
  • Se savoir d'une engeance qui n'a jamais été est une amertume où il entre quelque douceur et même quelque volupté.
  • Seul s'affranchit l'esprit qui, pur de toute accointance avec êtres ou objets, s'exerce à sa vacuité.
  • Seuls nous séduisent les esprits qui se sont détruits pour avoir voulu donner un sens à leur vie.
  • [...] Songerie géologique.
  • [...] Un peuple qui est un tourment pour lui-même est un peuple malade.
  • Virus de la prose, le style poétique la désarticule et la ruine: une prose poétique est une prose malade.
  • Vivre à même l'éternité, c'est vivre au jour le jour.

Syllogismes de l'amertume (1952)

Vitalité de l’amour

  • Après les métaphores, la pharmacie. – C’est ainsi que s’effritent les grands sentiments.
    Commencer en poète et finir en gynécologue !
  • Dans la recherche du tourment, dans l’acharnement à la souffrance, il n’est guère que le jaloux pour concurrencer le martyr.
  • Dans la volupté comme dans le panique, nous réintégrons nos origines ; le chimpanzé, relégué injustement, atteint enfin la gloire – l’espace d’un cri.
  • J’ai toujours pensé que Diogène avait subi, dans sa jeunesse, quelque déconvenue amoureuse : on ne s’engage pas dans la voie du ricanement sans le concours d’une maladie vénérienne ou d’une bonniche intraitable.
  • La dignité de l'amour tient dans l'affection désabusée qui survit à un instant de bave.
  • Nous aimons toujours… quand même ; et « ce quand même » couvre un infini.
  • Tel qui se tue pour une garce fait une expérience plus complète et plus profonde que le héros qui bouleverse le monde.
  • Un amour qui s'en va est une si riche épreuve philosophique que, d'un coiffeur, elle fait un émule de Socrate.
  • Vitalité de l’amour : on ne saurait médire sans injustice d’un sentiment qui a survécu au romantisme et au bidet.
  • Il est des âmes que Dieu lui-même ne pourrait sauver, dût-il se mettre à genoux, et prier pour elles.

Attribuées

  • À défaut d'avoir sauvé le monde, la grâce aura au moins sauvé les femmes.
  • À regarder les choses selon la nature, l'homme a été fait pour vivre tourné uniquement vers l'extérieur. Pour voir en lui-même, il lui faut fermer les yeux, renoncer à l'action, sortir du courant... Ce qu'on appelle « vie intérieure » est un phénomène tardif qui n'a été possible que par un ralentissement systématique de nos fonctions vitales, de sorte que l'« âme » n'a pu surgir qu'aux dépens de nos organes.
  • Ainsi, une fois prisonniers de l'amour, des esprits enclins à l'objectivité et à l'impersonnalisation, étrangers à eux-mêmes comme aux réalités profondes, éprouvent un sentiment qui mobilise toutes leurs ressources personnelles.
  • Au beau milieu d’études sérieuse, je découvris que j’allais mourir un jour… ; ma modestie en fut ébranlée. Convaincu qu’il ne me restait plus rien à apprendre, j’abandonnai mes études pour mettre le monde au courant d’une si remarquable découverte.
  • Au contact des Français, on apprend à être malheureux gentiment.
  • Au fond de soi, chacun se sent et se croit immortel, même s’il sait qu’il va expier dans un instant. On peut tout comprendre, tout admettre, tout réaliser, sauf sa mort, alors même qu’on y pense sans relâche et qu’on y est résigné.
  • Avoir dédié à l’idée de la mort toutes les heures qu’un métier auraient réclamées… Les débordements métaphysiques sont le propre des moines, des débauchés et des clochards. Un emploi eût fait de Bouddha même un simple mécontent.
  • Ce qu’il nous faut de concentration, d’industrie, de tact, pour détruire notre raison d’être !
  • Ceux qui vivent sans souci de l'essentiel sont sauvés dès le départ; mais qu'ont-ils à sauver, eux qui ne connaissent pas le moindre danger ?
  • Chacun croit, d’une façon inconsciente s’entend, qu’il poursuit seul la vérité, que les autres sont incapables de la rechercher et indignes de l’atteindre.
  • D’où vous viennent vos airs avantageux ? –
    J’ai réussi à survivre, voyez vous, à tant de nuits où je me demandais : vais-je me tuer à l’aube ?
  • Dans les épreuves cruciales, la cigarette nous est d’une plus grande aide que les Evangiles.
  • Dans les sensations de douleur très fortes, beaucoup plus que dans les faibles, on s’observe, on se dédouble, on demeure extérieur à soi, quand bien même on gémit ou on hurle. Tout ce qui confine au supplice réveille en chacun le psychologue, le curieux, ainsi que l’expérimentateur : on veut voir jusqu’où on peut aller dans l’intolérable.
  • Dans les tourments de l’intellect, il y a une tenue que l’on chercherait vainement dans ceux du cœur.
    Le scepticisme est l’élégance de l’anxiété.
  • Dans un livre gnostique du deuxième siècle de notre ère, il est dit :
    La prière de l’homme triste n’a jamais la force de monter jusqu’à Dieu.
    … Comme on ne prie que dans l’abattement, on en déduit qu’aucune prière n’est jamais parvenue à destination.
  • Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter.
  • En face d’un « dépressif », on sent bien que seuls seraient efficaces les coups de pied, les gifles, un bon passage à tabac. Et c’est d’ailleurs ce que fait ce « dépressif » lui-même quand il décide d’en finir : il emploie les grands moyens.
  • En paix avec lui-même et avec le monde, l’esprit s’étiole. Il s’épanouit à la moindre contrariété. La pensée n’est en somme que l’exploitation éhontée de nos gênes et de nos disgrâces.
  • En parlant de la mort on a sauve quelque chose de soi-même.
  • En vieillissant, on apprend à troquer ses terreurs contre ses ricanements.
  • Essayez d'être libres: vous mourrez de faim.
  • Évolution : Prométhée, de nos jours, serait un député de l’opposition.
  • Extraordinaire douceur à la pensée, qu’étant homme, on est né sous une mauvaise étoile, et que tout ce que l’on a entreprit et tout ce qu’on va entreprendre sera choyé par la malchance.
  • Il est aisé d’être « profond » : on a qu'à se laisser submerger par ses propres tares.
  • Il est des nuits que le plus ingénieux des tortionnaire n’aurait pu inventer. On en sort en miettes, stupide, égaré, sans souvenirs ni pressentiments, et sans même savoir qui on est.
  • Il est des performances qu’on ne pardonne qu’à soit : si on se représentait les autres au plus fort d’un certain grognement, il serait impossible de leur tendre encore la main.
  • Il faut savoir souffrir jusqu’au bout, jusqu’au moment où on cesse de croire à sa souffrance.
  • Il n'est pas d'état mélancolique sans cette ascension, sans une expansion vers les cimes, sans une élévation au dessus du monde.
  • Il n'est pas élégant d’abuser de la malchance ; certains individus, comme certains peuples, s’y complaisent tant qu’ils déshonorent la tragédie.
  • Il n'y a pas de cafard qui résiste au travail manuel, au bricolage.
  • J'aime la pensée qui garde une saveur de sang et de chair.
  • Je crois au salut de l'humanité, à l'avenir du cyanure...
  • Je n'ai pas d'idées - mais des obsessions.
  • Je ne suis moi-même qu’au dessus ou en dessous de moi, dans la rage ou dans l’abattement : à mon niveau habituel, j’ignore que j’existe.
  • Je ne vis que parce qu’il est en mon pouvoir de mourir quand bon me semblera : sans l’idée du suicide, je me serais tué depuis toujours.
  • Je pense quand à moi que la forme essentielle de la charité est l'amour entre l'homme et la femme qui, loin de se réduire à la sexualité pure, implique tout un ensemble d'états affectifs dont la richesse se laisse aisément saisir.
    Qui s'est jamais suicidé pour Dieu, pour la nature ou pour l'art ?
  • « Je suis comme une marionnette cassée dont les yeux seraient tombés à l’intérieur. » Ce propos d’un malade mental pèse plus lourd que toutes les œuvres d’introspection.
  • Je suis un fauve au sourire grotesque, qui se dilate et se contracte a l'infini.
  • Je veux mourir mais je regrette de le vouloir.
  • L'action remplit l'intervalle entre les choses et nous, alors que la réflexion l'élargit dangereusement.
  • L'amour-propre est chose aisée ; ce qui est plus difficile, et ce à quoi l'homme seul excelle, c'est la haine de soi.
  • L'anxiété n'est provoquée par rien, elle cherche à se donner une justification, et, pour y parvenir, se sert de n'importe quoi, des prétextes les plus misérables, auxquels elle s’accroche, après les avoir inventés.
  • L'envie de prier n'a rien à voir avec la foi. Elle émane d’un accablement spécial, et durera autant que lui, quand bien même les dieux et leurs souvenirs disparaîtraient à jamais.
  • L'expérience de la naïveté est la seule planche de salut.
  • L'homme accepte la mort mais non l’heure de sa mort. Mourir n’importe quand, sauf quand il faut que l’on meure !
  • L'homme sécrète du désastre.
  • L'irrationnel joue un rôle capital dans la naissance de l'amour, de même que dans la sensation de l'amour, l'impression de se fondre, de se dissoudre.
  • La complaisance pour l'adversaire est le signe distinctif de la débilité, c'est-à-dire de la tolérance, laquelle n'est en dernier ressort qu'une coquetterie d'agonisant.
  • La connaissance n’est pas possible, et, même si elle l’était, elle ne résoudrait rien. Telle est la position du douteur. Que veut-il, que cherche-t-il donc ? Ni lui ni personne ne le saura jamais.
    Le scepticisme est l’ivresse de l’impasse.
  • La connaissance de soi, la plus amère de toute, est aussi celle que l’on cultive le moins : à quoi bon se surprendre du matin au soir en flagrant délit d’illusion, remonter sans pitié à la racine de chaque acte, et perdre cause après cause devant son propre tribunal ?
  • La création est une préservation temporaire des griffes de la mort.
  • La façon la plus efficace de se soustraire à un abattement motivé ou gratuit, est de prendre un dictionnaire d’une langue que l’on connaît à peine, et d’y chercher des mots et des mots, en faisant bien attention qu’ils soient de ceux dont on ne se servira jamais…
  • La force dissolvante de la conversation. On comprend pourquoi et la méditation et l’action exigent le silence.
  • La force explosive de la moindre mortification. Tout désir vaincu rend puissant. On a d’autant plus de prise sur ce monde qu’on s’en éloigne, qu’on y adhère pas. Le renoncement confère un pouvoir infini.
  • La lucidité sans le correctif de l’ambition conduit au marasme. Il faut que l’une s’appuie sur l’autre, que l’une combatte l’autre sans la vaincre, pour qu’une œuvre, pour qu’une vie soit possible.
  • La pitié de soi est moins stérile qu’on ne croit. Dès que quelqu’un en ressent le moindre accès, il prend une pose de penseur, et, merveille des merveilles, il arrive à penser.
  • La souffrance est un état de solitude intérieure que rien d'extérieur ne peut soulager.
  • [...] La tentation d'une réalité inaccessible ne sont que simples manifestations d'une sensibilité exubérante.
  • La tristesse : un appétit qu'aucun malheur ne rassasie.
  • Le dernier recours de ceux que le sort a frappés est l'idée du sort.
  • Le malheur d’être incapable d’états neutres autrement que par la réflexion et l’effort. Ce qu’un idiot obtient d’emblée, il faut qu’on se démène nuit et jour pour y atteindre, et seulement par à-coups !
  • Le néant ne constituerait il pas, dans ce cas, le salut ?
  • Le pessimiste doit s'inventer chaque jour des raisons d'exister : c'est une victime du « sens » de la vie.
  • Le préjugé de l'honneur est le fait d'une civilisation rudimentaire. Il disparaît avec l'avènement de la lucidité, avec le règne des lâches, de ceux qui, ayant tout « compris » , n'ont plus rien à défendre.
  • Le problème de la mort lui même devrait me paraître ridicule.
  • Les inconsolations de toutes sorte passent, mais le fond dont elles procèdent subsiste toujours, et rien n’as de prise sur lui. Il est inattaquable et inaltérable. Il est notre fatum.
  • Les opportunistes ont sauvé les peuples; les héros les ont ruinés.
  • Méfiez vous de ceux qui tournent le dos à l’amour, à l’ambition, à la société. Ils se vengeront d’y avoir renoncé.
  • Ne se suicident que les optimistes, les optimistes qui ne peuvent plus l’être. Les autres, n’ayant aucune raison de vivre, pourquoi en auraient-il de mourir ?
  • Nos dégoûts ? – Détours du dégoût de nous-mêmes.
  • Nous sommes tous des farceurs : nous survivons à nos problèmes.
  • Nul ne perd ses illusions si il n'a désiré la vie avec ardeur.
  • On accable le sceptique, on parle de « l’automatisme du doute » , tandis qu’à propos d’un croyant on ne dit jamais qu’il est tombé dans « l’automatisme de la foi ». Cependant la foi comporte un caractère autrement machinal que le doute, lequel a l’excuse de passer de surprise en surprise, - à l’intérieur du désarroi, il est vrai.
  • On cesse d'être jeune au moment où l'on ne choisit plus ses ennemis, où l'on se contente de ceux qu'on a sous la main.
  • On s’accommoderait aisément des chagrins si la raison ou le foie n’y succombait.
  • Personne ne clame qu’il se porte bien et qu’il est libre, et c’est pourtant ce que devraient faire tous ceux qui connaissent cette double bénédiction. Rien ne nous dénonce davantage que notre incapacité à hurler nos chances.
  • Plus un esprit est revenu de tout, plus il risque, si l’amour le frappe, de réagir en midinette.
  • Pour être heureux, il faudrait constamment avoir à l’esprit l’image des malheurs auxquels on a échappé. Ce serait là pour la mémoire une façon de se racheter, vu que, ne conservant d’ordinaire que les malheurs survenus, elle s’emploie à saboter le bonheur et qu’elle y réussit à merveille.
  • Pour l’anxieux il n’existe pas de différence entre succès et fiasco. Sa réaction à l’égard de l’un et de l’autre est la même. Les deux le dérangent également.
  • Pour un jeune ambitieux, il n’est plus grand malheur que de frayer avec des connaisseurs d’hommes. J’en ai fréquenté trois ou quatre : ils m’ont achevé à vingt ans.
  • Pour vaincre l’affolement ou une inquiétude tenace, il n’est rien de tel que de se figurer son propre enterrement. Méthode efficace, à la portée de tous.
  • Pourquoi je ne me suicide pas ? Parce que la mort me dégoûte autant que la vie.
  • Pourquoi nous retirer et abandonner la partie, quand il nous reste tant d'êtres à décevoir ?
  • Quand on sait de façon absolue que tout est irréel, on ne voit pas pourquoi on se fatiguerait à le prouver.
  • Que nous le voulions ou non, nous sommes tous des psychanalystes, amateurs des mystères du cœur et du caleçon, scaphandrier des horreurs. Malheur à l’esprit aux gouffres clairs !
  • Que sont toutes les mélodies en comparaison de celle qu’étouffe en nous la double impossibilité de vivre et de mourir !
  • Qui n’a recueilli les confidences d’un pauvre bougre auprès duquel Tristan ferait figure de proxénète ?
  • Réfutation du suicide : n’est-il pas inélégant d’abandonner un monde qui s’est mis si volontairement au service de notre tristesse ?
  • Rien ne saurait justifier le fait de vivre.
  • Se prétendre plus détaché, plus étranger à tout que n'importe qui, et n'être qu’un forcené de l'indifférence !
  • Si Napoléon avait occupé l'Allemagne avec des Marseillais, la face du Monde eût été tout autre.
  • Si Noé avait eu le don de lire dans l’avenir, nul doute qu’il se fût sabordé.
  • Si nous n'avions la faculté d'exagérer nos maux, il nous serait impossible de les endurer. En leur attribuant des proportions inusitées, nous nous considérons comme des réprouvés de choix, des élus à rebours, flattés et stimulés par la disgrâce.
    Pour notre plus grand bien, il existe en chacun de nous un fanfaron de l'Incurable.
  • Si tu es voué à te ronger, rien ne pourra t'en empêcher : une vétille t'y poussera à l'égal d'un grand chagrin. Résigne toi à te morfondre en toute occasion : ainsi le veut ton lot.
  • Sur le même sujet, sur le même événement, il se peut que je change d’opinion dix, vingt, trente fois dans l’espace d’une journée. Et dire qu’à chaque coup, comme le dernier des imposteurs, j’ose prononcer le mot de « vérité » !
  • Tant qu’on vit en deçà du terrible, on trouve des mots pour l’exprimer ; dès qu’on le connaît du dedans, on n’en trouve plus aucun.
  • Tant que l’ennui se borne aux affaires du cœur, tout est encore possible ; qu’il se répande dans la sphère du jugement, c’en est fait de nous.
  • Tant que l’on croyait au Diable, tout ce qui arrivait était intelligible et clair ; depuis que l’on y croit plus, il faut, à propos de chaque événement, chercher une explication nouvelle, aussi laborieuse qu’arbitraire, qui intrigue tout le monde et ne satisfait personne.
  • Toute croyance rend insolent ; nouvellement acquise, elle avive les mauvais instincts ; ceux qui ne la partagent pas font figure de vaincus et d’incapables, ne méritant que pitié et mépris. Observez les néophytes en politique et surtout en religion, tous ceux qui ont réussi à intéresser Dieu à leurs combines, les convertis, les nouveaux riches de l’Absolu. Confrontez leur impertinence avec la modestie et les bonnes manières de ceux qui sont en train de perdre leur foi et leurs convictions…
  • Toute expérience profonde se formule en terme de physiologie.
  • Traduire une obsession, c’est la projeter hors de soi, c’est la chasser, c’est l’exorciser. Les obsessions sont les démons d’un monde sans foi.
  • Un éclat de rire sinistre accompagne alors chacun de vos gestes.
  • Un moine et un boucher se bagarrent à l’intérieur de chaque désir.
  • Une larme a toujours des sources plus profondes qu'un sourire.
  • Une seule expérience absolue, à propos de n’importe quoi, et vous faites, à vos propres yeux, figure de survivant.
  • Vivons donc puisque le monde est dépourvu de sens !